XIXe-XXIe siècles
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Le premier des courts récits contemporains dont il est question dans ce livre, le Voyage au Mont-Blanc (1806), est aussi célèbre qu’il a été détesté. Privilège des œuvres de ceux qui n’aiment pas, et le proclament, ce à quoi tout le monde accorde une admiration illimitée : Chateaubriand considère le « géant » des montagnes et ne lui trouve aucune beauté. Dans le concert qui exalte le haut lieu du « sublime », sa voix se distingue en une réclamation discordante que d’aucuns passeront difficilement à l’Enchanteur en titre et que d’autres ne lui pardonneront jamais.
Le second des récits, le Voyage au Mont-Vésuve, n’a pas eu les honneurs de pareille amertume. Tout porte du reste à croire qu’il a cherché à les faire oublier, tempérant par l’éloge de la lave et des cendres l’insensibilité affichée devant les splendeurs de la glace. Encore que le traitement réservé au volcan, tout d’adhésion subjective et d’une terreur apprivoisée, ne soit pas non plus conforme aux modèles qui régissent le « sentiment de la montagne ». Chacun fuit le Vésuve, Chateaubriand s’y installe : les postures une fois encore s’inversent et façonnent l’effigie d’un voyageur indocile.
A l’aube du XIXe siècle, en deux lieux opposés et contre une puissante topique, Chateaubriand révise ainsi les rapports sensibles entre le moi et le « grandiose ». Et cette épreuve esthétique est aussi et fondamentalement personnelle. La poétique du voyage que Chateaubriand poursuit de « souvenirs » en « itinéraires », dans l’entrelacs obsédant de la fugacité et de la permanence qui sera le moteur des Mémoires, trouve ici une expression première. L’ombre que ces textes jumeaux projettent sur l’imaginaire des montagnes est également le fond, non moins imaginaire, sur lequel se fait jour une appropriation littéraire de soi.
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L’auteur de cet ouvrage, sans négliger totalement les rapports bilatéraux, étudie surtout, en utilisant la presse, les documents diplomatiques et les récits de voyages, les regards réciproques que les deux pays portent l’un sur l’autre.
La Suisse ne s’intéresse au Portugal que lorsque s’y produisent des événements majeurs: l’Ultimatum anglais de 1890, l’assassinat du roi Carlos en 1908, la révolution républicaine de 1910, l’entrée du Portugal dans la Grande Guerre en 1916, le coup d’État militaire de 1926 et la révolte de février 1927.
Les Portugais admirent la Suisse pour son organisation politique, l’efficacité de son système scolaire et le civisme de ses habitants.
Ce «modèle» suisse ne peut pas être exporté vers le Portugal, car il y a trop d’écart entre le deux pays. L’élite portugaise subit cependant l’influence des pédagogues suisses notamment celle d’Édouard Claparède et d’Adolphe Ferrière.
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C’est en particulier à Charles Nodier que le terme même de linguistique doit sa fortune, dès la première moitié du XIXe siècle. D’une série d’articles de presse, l’auteur alors quinquagénaire a fait un ouvrage où il exposait – sur l’origine des langues, l’alphabet, l’étymologie, la néologie, les patois ou l’onomastique – des vues qui étaient déjà les siennes quelque trente ans auparavant. Au Nodier conteur, pétri de lexiques et pénétré de sa langue maternelle, on doit donc ce supplément cursif et didactique au Dictionnaire des onomatopées de 1808, qui expose mieux encore que ses essais critiques une conception originale de la poésie et, plus largement, de la littérature. Relatée avec autant de brio que de mordant, l’Histoire abrégée de la parole et de l’écriture peut également se lire comme une diatribe cinglante contre les aléas subis, jusqu’à nos jours, par l’orthographe française et les sciences du langage ; car à son analyse Nodier donne volontiers une extension aussi bien rétrospective que prospective.
L’édition minutieusement annotée de ce texte est assortie de plusieurs autres écrits linguistiques du dériseur sensé : témoignant de son érudite alacrité comme de ses convictions in©branlables, ils montrent ce philologue cratylien, cet académicien caustique et insoucieux des recherches scientifiques de l’époque, sous un jour qui n’a rien perdu de son éclat.
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L’organisation des chemins de fer en France sous la IIIe République constitue une expérience originale d’économie mixte qu’illustrent les relations entre l’Etat et les grandes compagnies de chemins de fer créées au milieu du XIXe siècle. Les études financières anciennes du Crédit lyonnais, que présente François Caron, retracent l’histoire contrastée de chacune de ces compagnies et l’évolution complexe du régime des chemins de fer jusqu’à la création de la SNCF en 1937.
Y est mis en évidence le rôle majeur, mais très particulier dans l’histoire de l’épargne française, des obligations de chemin de fer, qui ont dominé les émissions de valeurs à revenu fixe jusqu’en 1900. Une réflexion originale est proposée, qui traite des aspects économiques de la grande dépression et de l’influence des stratégies commerciales des compagnies sur l’évolution de l’économie française dans les années 1870-1900. Des explications sont fournies sur la crise financière subie par les compagnies à partir de 1900, qui se traduit, dans un contexte de hausse de la Bourse, par la chute de leurs cours ; dans les années 1920 et 1930, un examen lucide et critique est posé sur la tentative de sauvetage du système à travers la convention de 1921 et sur les incohérences de son application. Ces études ainsi mises en perspective constituent autant d’illustrations du débat toujours actuel sur le rôle de l’Etat et du Marché.
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Le journal d’écrivain parle du monde, et c’est bien souvent avec les mots des autres qu’il le fait, signalant en lui la présence explicite d’un déjà dit qu’il circonscrit. Situation paradoxale que celle d’une énonciation qui souligne l’altérité à l’intérieur de sa progression, mais la repousse fictivement hors d’elle par un geste de délimitation, dans le déni du dialogisme constitutif de toute parole. Reconnaissant en lui la présence ponctuelle d’autres discours, le journal offre un tracé de frontières mouvantes et complexes, cartographies imaginaires où s’esquisse l’illusion d’un territoire à soi, propice au déploiement de la fiction de soi. C’est à l’étude des autoportraits proposés par trois journaux du XXe siècle, ceux de Paul Léautaud, de Jean Malaquais et de Renaud Camus, que s’attache cet essai, dans l’observation du jeu singulier de formes langagières qui suggèrent la présence localisée et circonscrite de l’autre, et s’avèrent dès lors masque et indice d’une présence dialogique dynamique souterraine.